Accueil > Articles > Observations > CRAINDRE LA MORT
CRAINDRE LA MORT
dimanche 24 mars 2024, par
Si l’on pense que la mort est l’inverse de la vie, c’est-à-dire l’absence totale d’activité organique et l’extinction complète de la conscience, la mort n’a alors rien d’effrayant. La mort ne nous fait donc peur que si nous doutons de l’absence totale de sensations une fois passé de vie à trépas ; nous fait donc peur si nous croyons qu’une fois morts nous ne sommes pas vraiment morts ! Car une fois sortis du champ des sensations, de quoi pourrions-nous avoir peur ?
À titre personnel, je n’ai pas peur de la mort en tant que telle ; je sais qu’elle existe au même titre que la vie, et qu’elle en est l’exact contraire. Ce que je crains en revanche, c’est de sortir du vivant, de perdre ma conscience, de ne plus être en vie autrement dit, oui, c’est de devoir quitter l’existence qui me perturbe ou me fait peur, mais pas de retrouver l’inexistence d’où je viens.
L’on pourrait me dire qu’avoir peur de ne plus être en vie ou avoir peur de la mort, c’est kif-kif. Cependant, j’y perçois bien plus qu’une nuance, et certainement pas une équivalence.
Maintenant qu’il est entendu que l’absence totale de sensations et de conscience ne me font pas peur, c’est-à-dire pas plus peur qu’avant ma naissance — donc, absolument pas —, je vais vous dire ce qui me fait peur, vous dire ce que je ne voudrais pas : cela pourrait tenir en des milliers pages comme en quelques mots, selon que je vous en dresserais la liste exhaustive ou vous en ferais la synthèse. Pour ne pas vous citer tous les philosophes que j’aimerais découvrir, toutes les connaissances que j’aimerais acquérir, tous les savoirs que je voudrais maîtriser, toutes les disciplines que je souhaiterais exercer, bref, toutes mes lacunes combler, je vous dirai que ce qui me fait vraiment peur, c’est d’avoir vécu en vain, dans la frustration de l’incompétence, du manque [1] et des restrictions [2].
Si la vie doit se limiter aux possibilités qu’elle nous offre actuellement et ne surseoir à notre élimination que pendant un temps restreint — un temps insuffisant pour la découvrir dans toute sa splendeur, mais suffisant pour se rendre compte de ce que nous ne pourrons jamais faire… —, alors je la comparerai toujours à un piège, une mauvaise farce, un regrettable accident…
Je suppose que ceux qui craignent la mort se servent de cette crainte pour ne pas voir la réalité en face — cette réalité qu’une fois morts, ils auront véritablement cessé d’exister, seront complètement oubliés, n’auront plus la moindre interaction avec les vivants… Par le truchement de circonvolutions intellectuelles mensongères, ils tentent de croire qu’au fond la mort n’existe pas vraiment, en ce sens que l’on y survit d’une manière ou d’une autre… Y arrivent-ils ? Ou sont-ils, comme je l’imagine, happés par leurs doutes [3], une fois le moment venu ?
Ces quelques réflexions ne tiennent pas compte des peurs suscitées par l’idée même de la perte de personnes qui nous sont chères. Or il peut nous arriver de craindre la mort d’un ami, d’un enfant, d’un partenaire de vie… D’un animal de compagnie aussi. Pourtant, si l’on croit que la mort est un état d’inconscience absolue, il n’y a théoriquement pas plus de raisons de craindre la leur que la nôtre. Pourquoi craindrait-on en effet la mort des autres quand on ne la craint pas pour soi-même ? Manifestement, quand nous redoutons la mort des autres tout en croyant qu’ils ne ressentiront absolument plus rien, c’est d’autre chose dont nous avons peur.
[1] Manque de connaissances, manque de maîtrises, manque de sentiments nobles, manque de certitudes, etc.
[2] Ô combien j’ai en horreur les restrictions ! Non que je soutienne la démesure. Je pense qu’en toute réserve se développe le respect d’autrui et ce respect m’importe. Mais quand même, qu’est-ce que je déteste les restrictions !
[3] Je n’ignore évidemment pas le nombre considérables d’humains qui ne se rendent plus compte de rien, le moment venu, voire bien avant le moment venu, ayant perdu petit à petit tout ce qui les distinguait de l’animal (des suites de la démence sénile ou de la maladie d’Alzheimer par exemple).
Concorde Universelle