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LA MORTALITÉ HÉRITÉE : JUSTICE DIVINE ET CONDITION HUMAINE
mercredi 13 août 2025, par
Introduction — L’autorité divine et la naissance du bien et du mal
Dans le récit de la Genèse, Dieu accorde à Adam la liberté de consommer tous les fruits du jardin d’Éden, à l’exception notable de celui de l’arbre de la connaissance du bien et du mal¹. Peu importe que cet arbre soit compris comme littéral ou symbolique — question qui divise encore exégètes et croyants —, l’essentiel réside dans sa fonction narrative : par cette unique interdiction, Dieu établit son autorité tout en instituant les catégories fondamentales du bien et du mal.
L’arbre de la connaissance — symbole et révélation
Placée au cœur du jardin, près de l’arbre de vie², cette figure biblique concentre plusieurs dimensions théologiques :
- Le symbolisme moral — L’arbre incarne l’éveil de la conscience morale humaine, la capacité de discerner le bien du mal. En consommer le fruit, c’est franchir le seuil de l’innocence pour entrer dans un monde régi par des choix et leurs conséquences.
- L’épreuve de l’obéissance — L’interdiction divine, assortie de l’avertissement « le jour où tu en mangeras, tu mourras »³, se présente comme un test fondamental de confiance et de soumission à l’autorité divine.
- La Chute et ses répercussions — La désobéissance d’Adam et Ève, précipitée par la tentation du serpent, ouvre la porte au péché et à la mortalité, transformant radicalement l’expérience humaine.
La séquence narrative est précise : prise de conscience immédiate de leur nudité⁴, tentative de se dissimuler à Dieu, confrontation où s’expriment honte et accusations mutuelles, puis expulsion définitive du jardin⁵. Cette exclusion les prive à jamais de l’accès à l’arbre de vie, confirmant ainsi leur condition mortelle.
L’énigme de la dissimulation — lecture symbolique
Comment des êtres encore proches de leur perfection originelle peuvent-ils imaginer se cacher du regard de Celui qui les connaît parfaitement ? Cette naïveté apparente invite à dépasser une lecture strictement littérale.
Le récit va plus loin : après leurs ceintures de fortune en feuilles de figuier⁸, Dieu leur confectionne lui-même des habits de peau⁹. Mais que pourraient ces vêtements contre un regard omniscient ? Cette “nudité” semble renvoyer moins à l’absence matérielle d’habits qu’à la perte spirituelle de l’innocence — et la tentative illusoire de masquer cette transformation intérieure.
Le paradoxe de la justice héritée
Le jugement divin visait le transgresseur : « le jour où tu en mangeras, tu mourras »⁶. Pourtant, tous les humains, innocents du geste d’Adam, connaissent la mortalité. Cette transmission universelle de la conséquence — voire de la culpabilité — interroge la cohérence avec d’autres affirmations scripturaires. Par exemple, le prophète Ézéchiel affirme que « les fils ne porteront pas la faute des pères »⁷.
Cette tension, connue dans la théologie chrétienne comme le problème du péché originel (chez Augustin) ou de la corruption héritée, a suscité des réponses variées :
- Dans la tradition augustinienne, la faute est transmise avec la nature humaine.
- Dans certaines lectures orientales, c’est la mortalité — et non la culpabilité — qui se transmet.
- Dans le judaïsme rabbinique, la faute d’Adam ne s’impute pas aux générations, mais son acte a ouvert un monde où la mort existe.
Ces perspectives montrent que la question ne se limite pas à un conflit de versets, mais engage une réflexion sur la justice divine et la solidarité humaine dans le malheur.
Vers une troisième voie — l’espérantisme
Face à ces tensions, trois attitudes théistes se dessinent :
- L’agnosticisme — L’absolu resterait à jamais inaccessible, et le doute mènerait à une résignation intellectuelle.
- Le crédentisme — Les contradictions apparentes sont absorbées dans un acte de foi qui rend superflu tout examen rationnel.
- L’espérantisme — Concept proposé ici comme une posture d’attente active, nourrie par la recherche, l’écoute et la réflexion. L’espérant ne se résigne pas à l’ignorance, mais ne se précipite pas non plus vers des certitudes prématurées.
Cette approche accueille la possibilité que certains passages bibliques soient allégoriques, sans réduire leur portée spirituelle. Elle voit dans l’ambiguïté du texte non une faiblesse, mais un miroir de la condition humaine : à la fois limitée dans sa compréhension et ouverte à la transcendance.
Conclusion — L’ambiguïté féconde
Les Espérants vivent dans cette tension créatrice entre doute et espérance, questionnement et révérence. Ils reconnaissent que la “mortalité héritée” demeure une énigme, non pour décourager, mais pour inviter à poursuivre la quête.
Ainsi, l’énigme de la mortalité héritée n’est peut-être pas un verdict figé à accepter, mais une invitation à chercher, dans l’ombre du mystère, la lumière d’une justice plus haute.
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[1] Genèse 2:17
[2] Genèse 2:9, 3:22 ; Apocalypse 2:7, 22:2, 21:14
[3] Genèse 2:17
[4] Genèse 3:7
[5] Genèse 3:24
[6] Genèse 2:17
[7] Ézéchiel 18:20
[8] Genèse 3:7
[9] Genèse 3:21