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L’ÉTERNITÉ, DÉSIR IRRATIONNEL
mercredi 31 janvier 2024, par
Certaines personnes souhaitent ardemment vivre à jamais, sans plus avoir au-dessus de la tête une épée de Damoclès — l’épée de Damoclès étant ici, vous l’aurez compris, le fait que la mort puisse leur tomber dessus à n’importe quel moment ! (Accident, maladie, mort naturelle…)
La Bible fait miroiter aux humains cette merveilleuse espérance de ne jamais mourir [1].
Preuve logique basée sur l’interdiction évoquée au début du récit biblique : l’homme risque la mort en cas de désobéissance ; par opposition, l’homme s’assure donc de ne jamais mourir en ne désobéissant pas [2].
D’autre part, après la désobéissance d’Adam, Dieu empêche l’accès à l’arbre de vie [3], ce qui est une autre preuve — également basée sur le récit biblique — de la possibilité pour l’Homme de vivre indéfiniment.
Après le premier péché, il est évoqué dans la Bible qu’il y aurait deux postérités : celle des forces de la lumière (ou du bien) et celle des forces des ténèbres (ou du mal) [4].
En fait, sitôt la transgression provoquée par le père du mensonge, Dieu annonce que les humains retrouveront leur état d’avant le péché originel, c’est-à-dire leur état de perfection.
À l’instar de la droguée du début, dans le film Nikita de Luc Besson, nous disons, nous aussi : « J’en veux ! »
Mais de quoi voulons-nous exactement ? Aussi bizarre que cela puisse paraître à certains, nous voulons vivre éternellement ! En effet, vouloir retrouver l’état de perfection d’Adam et Ève, perdu suite à leur désobéissance, c’est vouloir retrouver l’immortalité humaine initiale (qui est de ne plus être sujet à la mort [5]).
Nous devons remarquer que, relativement aux humains, l’adverbe “éternellement” est inapproprié parce qu’il est une exagération nous concernant, tout humain ayant un début ; l’éternité est l’apanage de Dieu car il est le seul à n’avoir jamais eu de commencement.
Toutefois, une démi-éternité, c’est long, surtout vers la fin comme disait l’autre [6]. La nature même des hommes sera toujours d’avoir un début, et, en cela, ils ne seront jamais comme Dieu. Néanmoins, naître puis ne jamais décéder reviendrait, d’une certaine façon, à vivre éternellement.
Oui, nous voulons vivre éternellement, alors qu’il est impossible de savoir ce qu’est la vie éternelle et tout aussi impossible dès lors de savoir si nous voulons vivre éternellement — et, donc, déraisonnable de le croire — car il est par définition impossible de connaître quelque chose qui n’a pas de fin.
Vouloir quelque chose que nous ne pouvons connaître sort manifestement du cadre de la raison.
C’est en effet le propre d’une vie sans fin que de ne pas être connaissable à l’avance de celles et ceux qui en bénéficieront. Et c’est d’ailleurs l’un des intérêts de cette vie indéfinie, et ce qui en fait en partie le charme, pourvu qu’elle se passe dans de bonnes conditions évidemment.
Vouloir vivre sans jamais devoir mourir revient, nous l’avons compris, à désirer la vie en présumant qu’elle nous rendra continuellement heureux.
Vouloir vivre dans de mauvaises conditions n’aurait pas beaucoup de sens, vous en conviendrez !
Devoir vivre dans de mauvaises conditions — ce qui est le lot de l’Humanité depuis qu’elle a été coupée de son Créateur, c’est-à-dire depuis pratiquement toujours — n’a pas de sens non plus, en dehors de nourrir l’espoir que ces mauvaises conditions changeront. L’espoir fait vivre !
Mais dans la certitude absolue de ne jamais voir ces mauvaises conditions s’améliorer — conditions qui, forcément, s’empireraient au contraire —, il nous paraîtrait judicieux de penser que personne n’aurait envie de continuer de vivre, ni même de sortir de l’inexistence, c’est-à-dire venir à la vie. Le désespoir fait mourir !
Les hommes veulent donc quelque chose d’inconnaissable en conjecturant que cette chose inconnaissable fera leur bonheur.
L’irrationalité de notre désir de vie éternelle prend sa source dans notre conception initiale, notre Créateur ayant implanté en nous l’idée d’éternité [7].
L’inconnaissabilité de l’objet de notre plus cher désir — celui de vivre à jamais — n’est manifestement pas un frein pour ceux d’entre nous qui aspirent à ne jamais mourir.
Nous plaçons notre désir de vivre à jamais au-dessus de tous nos autres désirs pour la bonne raison que de celui-ci dépendent tous les autres. Par exemple, aspirer à devenir un excellent pianiste dépend forcément du temps dont nous disposerons. Pareil pour construire sa maison, connaître la chimie, les mathématiques, etc. Bref, découvrir pleinement le monde ne peut réellement s’envisager que grâce au fait de vivre.
Dans la mort, c’est-à-dire l’inexistence, aucun projet n’est possible, aucun objectif n’est atteignable, aucune amélioration n’est envisageable, non, aucune joie ne peut éclore [8].
Et sur quoi se basent-ils, ceux d’entre les humains qui aspirent à ne jamais mourir ?
Comme nous l’avons vu, ils se basent sur des promesses religieuses et sur ce qu’ils ressentent au plus profond d’eux, reliquat de la perfection qui leur a été ravie.
Ils se basent aussi sur le plaisir qu’ils ont d’ores et déjà d’exister, au travers des joies dont il est déjà possible de faire l’expérience dans l’actuel système de choses.
Ils se basent encore sur l’extrapolation de ce plaisir qu’ils imaginent croissant au fil du temps. Ils déduisent donc, à partir de processus ou de comportements concrets observés dans des conditions définies, d’autres processus ou comportements échappant à l’expérimentation.
Dans toute l’histoire de l’Humanité, aucun humain n’a vécu sans connaître la vieillesse suivie de la mort. (Sans oublier les très nombreux humains qui ne sont pas morts de vieillesse, mais des suites d’un accident, d’une maladie ou d’une exécution.) Aucun humain n’a donc fait l’expérience de la vie éternelle, ni ne pourra jamais la faire puisqu’il est rigoureusement impossible de faire la pleine expérience de quelque chose d’infini.
En conclusion, certains humains (dont nous faisons partie) postulent qu’ils apprécieraient de vivre à jamais en se basant sur leur intime conviction, elle-même basée sur leur infime expérience de la vie. Ce qui nous pousse à qualifier d’irrationnel notre désir d’éternité.
L’expérience de la vie restera toujours infinitésimale au regard de l’éternité.
L’éternité restera toujours incommensurable au regard de l’expérience que nous pourrons en faire.
Ce n’est dès lors pas la raison qui détermine notre envie de ne jamais mourir, l’infinitésimale ne pouvant rationnellement l’emporter sur l’incommensurable, mais d’avoir été créés à l’image de Dieu.
Une fois le processus du vieillissement stoppé par Dieu — ce grain de sable qu’il a lui-même introduit dans la machinerie de notre régénérescence —, les humains ne mourront plus. Cependant, ils ne resteront assurés de continuer de vivre qu’au travers de la croyance en une promesse, et non sur base d’une connaissance avérée !
Cette promesse de ne jamais mourir se transformera pour certains croyants en une certitude absolue ou, du moins, pourra se transformer en une certitude absolue, comme aujourd’hui la promesse que la mort sera vaincue par Christ s’est transformée pour certains croyants en une certitude, au travers de la foi.
Néanmoins, la réalité de vivre à jamais demeurera indéfiniment conjecturale.
[1] 1 Corinthiens 15:26 | 1 Corinthiens 15:54 | Apocalypse 21:4 | Ésaïe 25:8
[2] Genèse 2:17
[3] Genèse 3:22-24
[4] Genèse 3:15
[5] Étymologiquement, le vocable “immortalité” fait référence au fait d’être immortel, c’est-à-dire de ne pas être sujet à la mort. Il ne faut pas confondre “indestructible” et “immortel” : la condition humaine — le fait d’être de chair et de sang — rendra toujours l’Homme potentiellement mortel à défaut de bénéficier d’une protection extérieure. Cette protection extérieure fera partie intégrante de la Concorde Universelle, la Grande Harmonie qui existera entre l’Humanité et son Origine.
[6] « L’éternité, c’est long, surtout vers la fin ! » (Woody Allen)
[7] Ecclésiaste 3:11
[8] Ecclésiaste 9:4-6