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LE DOUTE
samedi 3 février 2024, par
Pour justifier l’attentisme de Dieu, d’aucuns avancent que s’il était intervenu sitôt son autorité défiée, Dieu aurait semé le doute dans l’esprit des témoins ayant assisté au défi qui lui était lancé.
Au travers de diverses explications, certains mouvements religieux prétendent que Dieu ferait face à un défi auquel il ne pouvait se soustraire s’il voulait régler une fois pour toutes la question de la légitimité de sa souveraineté.
Par extrapolation, les tenants de cette croyance jurisprudentielle prétendent que le doute aurait pu s’immiscer dans toute personne ayant hérité la malédiction génétique d’Adam et Ève. (Nous rappelons au passage que cette malédiction génétique est le fait de Dieu.)
Nous devons hélas constater que la permissivité de Dieu n’a absolument pas permis d’éviter de semer le doute dans l’univers, que ce soit au sein des témoins ayant assisté au défi lancé à Dieu, ou que ce soit au sein de l’Humanité dont on ne peut pas considérer qu’elle soit constituée de témoins directs, en dehors du premier couple d’humains, et que nous qualifierions d’héritiers malchanceux si nous ne savions pas que la chance n’y est pour rien.
Nous constatons plutôt que la permissivité de Dieu a eu tendance à semer le doute au contraire, ce qui laisse à penser qu’elle n’a pas pour but de clarifier la situation, ni de permettre véritablement de prouver, au bout du compte, qui de Dieu ou du Diable a raison.
Et puis, surtout, nous ne pouvons croire qu’il soit en quelque sorte bon d’en passer par là, avec tout ce que cela comporte d’injustices et de souffrances…
Enfin, il faut bien comprendre qu’en affirmant que Dieu ne pouvait faire autrement que de laisser la situation se détériorer pour faire la démonstration de son droit à diriger l’univers, nous affirmons d’une certaine façon qu’il n’est pas tout-puissant puisqu’il doit, lui aussi, se soumettre à des contraintes en certaines circonstances !
En n’intervenant pas immédiatement — ce qui aurait économisé bien des larmes d’affliction —, Dieu a laissé l’Humanité se faire prendre en tenaille. Cela soi-disant dans le but de prouver que son Adversaire et tous ceux qui le suivraient avaient tort.
Faut-il croire qu’aucun autre moyen n’était donné à Dieu de prouver qu’il avait, lui, raison ?
Faut-il croire que Dieu avait besoin, en quelque sorte, d’un cas d’école ?
Faut-il croire que Dieu ne pouvait se passer de faire appel à la jurisprudence, à la manière d’humains devenus imparfaits ?
Faut-il croire enfin que Dieu pouvait être contraint ? Car c’est bien de cela qu’il s’agit : d’être contraint, oui, d’être contraint de laisser se produire d’horribles événements qui déshonorent et souillent et causent des tourments et sèment le doute…
Mais remontons à l’origine du désastre.
Pour permettre aux humains de prouver leur attachement à sa personne — attachement singulier, seul garant du bonheur véritable —, Dieu leur donna un ordre. Le transgresser revenait à se couper de lui. En effet, s’insoumettre au commandement divin de ne pas manger du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal revenait à dénier à Dieu le droit de décider de ce qui est bon pour les humains et de ce qui ne l’est pas.
En dehors de cette transgression potentielle, ayant été créés pour faire naturellement ce qu’il convenait de faire selon les critères divins, les humains ne savaient pas faire le mal.
On peut dire qu’alors, c’est-à-dire avant la transgression ayant rompu la bonne relation qui existait entre l’Homme et son Créateur, les perspectives de bonheur complet et véritable étaient intactes. Mais ces perspectives se sont très vite assombries et les problèmes ont commencé immédiatement à s’amonceler, comme dans tout système mal conçu.
Selon le premier livre de la Bible (la Genèse), la première femme s’est rapidement laissée séduire par des paroles sorties tout droit de la bouche d’un animal ne sachant normalement pas parler : un serpent.
L’apôtre Paul dira d’Ève qu’elle a été trompée mais qu’Adam ne l’a en revanche pas été.
Qu’importât qu’Ève fût ou non trompée, elle mourut comme Adam.
La sentence en cas de désobéissance — d’insoumission donc — était la mort. Aussi Adam et Ève moururent-ils.
Dieu avait mis en garde Adam mais sans jamais préciser que sa descendance subirait le même sort funeste.
Dans le livre de la Genèse, Dieu prédit que s’il venait à manger du fruit défendu, Adam mourrait [1].
Selon le livre de la Genèse, ce ne sera qu’après la désobéissance d’Ève, suivie de celle d’Adam, que Dieu détaillera sa sentence (l’homme se nourrira dorénavant à la sueur de son front et la femme enfantera dans la douleur notamment).
Même dans la description post-premier-péché des conséquences entraînées par ledit péché, il n’est guère fait mention de la condamnation à mort de la progéniture d’Adam et Ève. Mais force nous est de constater que tous les humains meurent, sans exception.
La chronologie du livre de la Genèse présente une condamnation multiple alors que la prédiction initiale, contenue au début du récit, annonçait une condamnation unique, à savoir qu’Adam perdrait sa vie en cas de désobéissance. À tout le moins, cela peut paraître étrange et, donc, semer le doute quant au contenu de ce livre.
Dieu prédit la mort d’Adam et uniquement cela. Rien d’autre. Or, en conséquence de leur désobéissance, Adam et Ève seront chassés du jardin d’Éden, le sol deviendra difficile à cultiver, les femmes enfanteront dans la douleur et seront dominées par leur mari, etc.
Autre conséquence gravissime : l’insoumission d’Adam et Ève entraînera leur descendance tout entière dans leur chute, ce qui n’avait aucunement été annoncé par Dieu, si l’on s’en tient à la lecture du livre de la Genèse.
Bien qu’elle fût innocente de la faute ayant provoqué la chute d’Adam et Ève, toute l’Humanité sera désormais sous le joug du péché originel, avec en prime son asservissement au Prince des ténèbres !
Depuis, nous évoluons dans un jeu d’ombres et de faux-semblants. D’apparences en illusions, nous voguons au gré de courants contrariés, souvent contradictoires, qui alimentent nos doutes, nos inquiétudes, nos incertitudes… Nous nous égarons, nous nous perdons dans les méandres de mondes inconvergeants.
Du doute en général naissent l’inconstance, le manque d’engagement, la crainte. Ou plutôt les craintes. Toutes les craintes. La crainte de ne pas faire le bon choix, parfois suivie de celle de ne pas l’avoir fait… La crainte de faire le mal. La crainte, différente, de ne pas faire le bien, ou de ne pas le faire suffisamment… La crainte du lendemain. Et — peut-être la pire — la crainte de ne pas mériter la vie, d’en être indigne, alors que nous avons été rendus indignes par la volonté divine, et que, de toute façon, il est rigoureusement impossible de la mériter si nous nous référons à son origine. Bref, toutes ces craintes qui mettent un poids écrasant sur nos épaules…
[1] Genèse 2:17