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L’HOMME S’APPARTIENT-IL ?

jeudi 8 mai 2025, par Observation

L’homme s’appartient-il ? Nombreuses sont les personnes qui répondront par l’affirmative à cette question. Ces personnes soutiendront avoir raison en affirmant que l’homme peut décider librement de ses choix. Il ne fait d’ailleurs aucun doute que, très vite, la discussion s’orientera vers le libre arbitre dont disposeraient prétendument les humains.

Comme toujours, il serait bon de définir précisément de quoi l’on souhaite parler concrètement. Car, en l’occurrence, le sujet n’est pas de savoir si nous disposons ou non de la faculté d’aller à droite plutôt qu’à gauche. Non, le sujet est considérablement plus profond ; il embrasse le fondement même de notre réalité. Ce qui exige de voir les choses avec beaucoup plus de hauteur. Mais avant d’essayer de le faire, commençons déjà par déterminer ce qu’est le verbe “appartenir”.

Dans notre esprit, “appartenir”, c’est être la propriété de quelqu’un. Et la propriété, c’est la possession légale d’un bien, quelque soit la nature de ce bien et pour quelque usage que ce soit. En effet, si le propriétaire d’une chose ne peut guère en disposer à sa guise, peut-on considérer que cette chose lui appartient vraiment, c’est-à-dire entièrement ? S’il ne dispose de cette chose que partiellement ou temporairement, ou même entièrement mais seulement pour un temps limité, l’on ne peut pas dire qu’il la possède complètement ni qu’elle lui appartient entièrement au plein sens du terme. Tout au plus peut-on dire qu’il bénéficie temporairement de son usage, à la manière d’un locataire qui profite des commodités d’une maison sans en être le propriétaire. La maison en question se verra occupée pendant un temps par cet occupant passager, à qui succédera un autre occupant passager, à qui succédera un autre, et ainsi de suite… De sorte qu’il conviendrait presque mieux de dire que c’est la maison qui possède l’occupant et non l’inverse. Mais laissons là cette comparaison dans laquelle la chose privée de vie (au sens organique [1]) possèderait des êtres vivants.

Nous pourrions filer la métaphore et constater que le possédé est bien celui qui appartient corps et âme à une mission, un projet, voire une simple tâche. C’est d’ailleurs pour éviter de se perdre que nous sommes mis en garde contre ce genre d’excès dans certaines doctrines ! Se jeter à corps perdu dans telle ou telle pratique semblerait avoir le don de nous déposséder de nous-même. Quand Molière nous dit, dans L’Avare : « Il faut manger pour vivre, et non vivre pour manger » [2] (Acte III, scène 5), c’est un peu de cela dont il parle.

Venons-en au constat qui nous amène à affirmer que nous ne nous appartenons pas. Et précisons d’emblée que ce constat, nous le faisons continuellement dans notre chair. Année après année, mois après mois, jour après jour… Pas une minute, nous ne lui échappons. Et, bien sûr, la part spirituelle de notre être n’est pas exclue de ce permanent constat. Elle en est à vrai dire indissociable.

Ce constat, quel est-il ? Et d’ailleurs s’agit-il d’un constat unique ou d’un constat multiple ? Si nous voulons le réduire à sa cause qui, elle, nous paraît unique, nous pourrions répondre qu’il est unique. Cette cause, la voici : la finitude humaine empêche tout homme de s’appartenir. Pour qu’il pût s’appartenir, il eût fallu que l’homme ne fût pas sujet à la mort, oui, qu’il fût immortel. Mais ce constat que nous vivons au quotidien depuis notre premier souffle est multiple au sens où ce constat se compose de nombreux sentiments et observations, et concerne notre être charnel et sa part spirituelle [3].

Donc, ce constat, quel est-il ? Il est que, si nous nous appartenions vraiment, nous pourrions décider dans les moindres détails de la personne que nous voudrions être. Or, nous ne le pouvons pas ! Là, l’on pourrait croire que nous ne faisons allusion qu’à notre apparence physique. Mais ce n’est pas le cas : nous voulons parler autant des aspects extérieurs de notre corps que de nos qualités intérieures — physiques, physiologiques, psychologiques, spirituelles…

Il faut que nous précisions un point important de notre discours qui vient d’être abordé à l’instant. Nous avons affirmer que si nous nous appartenions vraiment nous pourrions décider de la personne que nous voudrions être, ce qui n’est pas faux. Mais notre pensée serait mieux exprimée présentée ainsi : pour nous appartenir, nous aurions dû pouvoir choisir notre personne — notre personne extérieure et notre personne intérieure — et, en allant plus loin, nous aurions dû pouvoir choisir que cette personne soit ou non amenée à la vie. Il s’agit là d’un point crucial !

Mais il est tout à fait impossible qu’il eût pu en aller ainsi, car, pour que cela fût possible, nous aurions dû procéder de nous-mêmes, nous aurions dû préexister, nous aurions en fait dû être éternels, c’est-à-dire n’avoir pas eu de commencement.

Si nous nous appartenions vraiment, nous n’aurions pas à subir toutes les contraintes liées à notre organisme : l’obligation de dormir, de manger, de boire, de respirer, d’uriner, de déféquer — toutes ces obligations qui menacent implicitement notre existence… — et nous n’aurions pas non plus à subir tous ces préceptes qui nous ont été inculqués, ni toutes ces idées reçues qui ont fait de nous les ventriloques des sociétés dans lesquelles nous vivons.

Nous entendons d’ici les commentaires : « Mais c’est agréable de dormir », « Mais c’est agréable de manger et de boire ». Et nous ne nierons pas qu’il puisse effectivement être agréable de dormir ni qu’il puisse être agréable de se restaurer autour d’une bonne table, surtout dans la compagnie d’amis qui concourent à la joie et la bonne humeur du moment. Nous serons par contre plus réservés quant aux autres besoins naturels dont nous venons d’évoquer les contraintes. Devoir uriner ne nous a jamais paru spécialement plaisant, et devoir se soulager de matières fécales malodorantes moins encore… Non, croyez-nous, s’ils s’appartenaient vraiment, il y a fort à parier que la plupart des humains n’auraient pas fait en sorte de devoir impérativement respirer, manger, boire, dormir, uriner, déféquer… De pouvoir le faire facultativement, oui, à la limite, mais pas de devoir obligatoirement le faire ! Et encore ne parlons-nous là que des activités qui pourraient n’être alors considérées que sous leur angle récréatif, comme manger, boire et dormir. Mais certainement pas des activités métaboliques qui résultent notamment du boire et du manger.

Au nombre des conséquences métaboliques que nous classerions volontiers aussi parmi les désagréments de l’existence humaine que nous ne nous serions pas imposés si nous en avions eu le choix figure la transpiration qui, selon nous, n’a vraiment rien d’agréable non plus. Elle est utile, certes, comme toutes les autres conséquences métaboliques, mais pas foncièrement agréable. Ceci dit, notre propos n’est pas de dresser la liste complète des désagréments [4] induits par notre métabolisme et notre charnalité, ou, pour le dire plus globalement, induits par notre condition humaine dans son ensemble, mais plutôt de démontrer que nous ne nous appartenons pas vraiment, puisque, à tout moment, nous pouvons être ravis à la vie par la maladie ou un accident, et que, inéluctablement, le corps dont nous disposons — et que seuls quelques-uns d’entre nous trouvent à leur goût — nous échappe complètement en se dégradant toujours plus… Si nous nous appartenions, déciderions-nous de nous transformer au fil du temps en cadavres ambulants ? Non, bien sûr !

Il est donc établi que nous ne nous appartenons guère, au sens où nous ne pouvons pas disposer de nous-même comme bon nous semble et selon notre propre volonté, sans quoi, il est évident que nous serions différents de ce que nous sommes et évident que nous éviterions de subir les désagréments qui nous sont infligés. Évident aussi — mais est-il nécessaire de le préciser ? — que nous ne nous inoculerions aucune maladie. Et pour certains d’entre nous, dont nous faisons partie, il est également évident que nous ne choisirions pas de mourir. À la rigueur, nous conserverions la possibilité de décider de mourir, c’est-à-dire de disposer de la faculté de mettre fin à nos jours [5], mais nous ne déciderions pas de nous infliger le processus dégénératif provoqué par la vieillesse ni ne choisirions d’en finir avec la vie sans avoir notre mot à dire !

Selon nous, et pour conclure, l’unique manière de parvenir à s’appartenir est pour l’homme de se suicider. Mais comme nous ne prônons absolument pas le suicide [6] et que cet article ne s’adresse pas aux personnes qui ont un pied dans la tombe, car ces personnes savent pertinemment que leur mort prochaine viendra attester qu’elles ne s’appartenaient décidément pas, nous sortons volontiers le suicide de l’équation — fût-il assisté.

Résumé de l’article par Mistral.Ai

Résumé de l’article par ChatGPT

Résumé de l’article par Anthrop\c Claude


[1En usant de figures de style, l’on peut donner vie à des maisons qui, fondamentalement, en sont dépourvues. Outre leur personnification par effet de style, nous n’ignorons évidemment pas que les hommes se sont souvent ingéniés à vouloir faire croire que certaines d’entre elles étaient douées de pouvoirs — souvent maléfiques — dans le but d’exploiter des peurs et faire quelques biffetons…

L’industrie cinématographique regorge d’exemples où la maison est le personnage central de l’histoire horrifique.

[2Il faut cependant aussi « vivre pour manger » car nul ne sait manger sans vivre ! Nous remarquons donc que cette recommandation ne s’adresse pas aux morts mais bien exclusivement aux vivants qu’elle incite à considérer la nourriture pour ce qu’elle est censée être : un moyen mis à la disposition de leur survie.

[3Nous ne prétendons pas que les hommes se composent de deux entités distinctes dont l’une — la spirituelle — s’extrairait de leur corps au trépas de celui-ci.

[4Cette liste serait beaucoup trop longue qui s’allonge à mesure que nous vieillissons…

[5Dans le cas peu probable où nous serions lassés de l’existence.

[6Le suicide est aux antipodes de l’espéré bonheur qui ne peut éclore que dans la conscience.

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